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Alter et ego (Carnet)

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4 mars 2024

La précarité du bonheur présent

Au sujet de la conservation des traces relationnelles, j'ai conclu mon précédent texte par cette précision : « j'ai constamment gardé à l'esprit ceux qui, pour diverses raisons tragiques, perdent toute trace matérielle de leur passé.

 

Je pensais tout particulièrement aux personnes actuellement soumises à des conflits terrifiants et abominablement destructeurs : Ukraine, Gaza. Inutile de chercher à préciser la douleur insondable de l'anéantissement, qui peut aller bien au-delà des pertes matérielles. 

 

Je pensais aussi aux personnes qui voient disparaître leurs souvenirs dans un incendie ou une inondation catastrophique, tels que ceux que l'on voit s'amplifier année après année.

 

Je pensais enfin à toutes ces situations auxquelles je ne pense pas, parce que moins médiatisées, moins "proches", moins présentes.

 

Pourquoi mentionner ces tragédies, alors que je ne peux rien y changer ? Peut-être pour relativiser la portée de mes propos d'homme blanc sans souci, aux préoccupations bien légères. Des soucis de personnes disposant des conditions matérielles leur permettant de les prendre en considération. Des soucis de privilégié.

 

Vouloir conserver la trace de moments de cogitations et de partage de ressentis ? La belle affaire !

 

Et pourtant je me dis qu'il y a là quelque chose d'important. Que, d'une certaine façon, chercher à comprendre l'altérité, à s'entendre, à entrer en résonance, reste essentiel. Littéralement. Les préoccupations que j'évoque, assurément moins fondamentales que les besoins existentiels de base, représentent en quelque sorte l'opposé : l'accomplissement. Ce qui fait que l'existence a un sens, autre que seulement survivre et perpétuer l'espèce. C'est pourquoi, fort de cette conscience et du privilège de pouvoir penser librement, j'ai régulièrement besoin de mettre en évidence la précarité du bonheur présent.

 

1 mars 2024

Une question d'importance

Quelle importance le contenu de cet espace d'expression personnelle a t-il pour moi ?  

 

La question s'impose alors que, au moment où j'écris ces lignes, tous les commentaires que j'ai laissés depuis l'origine ont disparu. Pas ceux des centaines de personnes qui se sont exprimées ici : seulement les miens ! La situation pourrait n'être que temporaire, le temps que soit achevée la migration des quelques dizaine (centaines ?) de milliers de blogs antérieurement hébergés par Canalblog, désormais rapatriés sur une autre plateforme d'hébergement et publication

 

Cet espace d'expression, je l'ai ouvert il y a bientôt 19 ans, sans savoir si l'expérience me conviendrait. Assurément ce fut le cas, bien que depuis quelques années une certaine désaffection soit apparue. Aujourd'hui, si ce blog n'existait pas [hypothèse absurde], je ne crois pas que je serais tenté par l'ouverture d'un espace d'expression de ce genre. Cela ne m'est plus nécessaire. Il est cependant là et ce qu'il représente est important à mes yeux. Non pour ce qu'il est encore [fort dispensable] mais pour ce qu'il a été. Je pense en particulier au contenu des échanges de commentaires, qui ont notablement enrichi l'expression initiale de mes réflexions.

 

Certains des sujets que j'explorais, une fois déposés ici, prenaient de l'épaisseur grâce aux éclairages et contrepoints offerts par un lectorat attentif, plus ou moins identifié, généralement assez fidèle quoique se renouvelant au fil des ans. Cette matière-là est, à mon sens, le trésor caché du blog. Pas tout, bien sûr ; il faudrait en extraire les meilleurs filons, les plus belles pépites. C'est un projet que j'avais vaguement à l'esprit et qui s'est récemment ravivé à propos de la démarche qui consiste à imprimer le contenu d'un blog. Dans un de mes derniers billets la question de la conservation des commentaires avait été abordée : que faire de cette masse considérable, elle-même née d'une profusion de billets d'intérêt inégal. La question était restée en suspens...

 

Or, coïncidence, à peu près au même moment, l'hébergeur historique de ce blog adressait un courrier rassurant annonçant la transition des blogs « en douceur ». Ayant antérieurement copié en archive l'intégralité de mes écrits, je n'ai pas vraiment porté attention au courriel. Par mesure de sécurité j'ai quand même voulu garantir la conservation des quelques longs fils de commentaires ayant suivi mes billets explorant les motivations et conséquences du silence au sein d'une relation. J'ai donc illico copié-collé des pages et des pages de commentaires (jusqu'à 600 pages !) qu'il me semblait important de ne pas risquer de perdre. J'avais dans l'idée de continuer ce travail quelque peu fastidieux mais, fort occupé par une formation en cours, j'ai reporté et laissé passer les jours. Jusqu'à ce que je découvre, cette semaine, alerté par une fidèle lectrice, que mon blog était en partie inaccessible. J'ai compris que la "migration" annoncée avait été effectuée.

 

Le lendemain j'ai rapidement été rassuré de constater que l'intégralité du contenu du blog semblait bien avoir été conservée, de même que les précieux commentaires... Sauf les miens, donc ! Je ne peux qu'espérer que ce soit une phase temporaire, la "migration" ayant été annoncée comme devant durer plusieurs jours. Je redoute un peu que la conservation des commentaires des auteurs de blogs n'aient pas été considérées comme étant d'importance capitale [et néanmoins toute relative].

 

Si la correspondance un peu particulière qui s'est échangée au fil de mes publications est définitivement inaccessible... et bien soit. J'accepterai la perte, tout à fait supportable. Je préfèrerais cependant que ce précieux contenu puisse être restauré afin que je puisse - éventuellement - l'explorer un jour et en extraire les meilleures parts.

 

Je ne peux m'empêcher de prolonger un peu la réflexion autour du désir de conservation, ici concernant l'émotionnel-intellectuel. J'ai l'impression que si la plupart des gens considèrent comme normal de conserver des photos de famille ou d'évènements, l'archivage des écrits est moins courant. Moins ouvertement affiché. Probablement parce que cela touche à l'intime... qui est pourtant, à mes yeux, le plus essentiel. Pour ma part j'assimile une part des "correspondances par commentaires", quand elles sont un peu approfondies, à l'approche personnelle, sensible, subjective, projetée qui fait la saveur et l'onctuosité de la rencontre.

 

Je prends conscience, en l'écrivant, que c'est ce que j'ai cherché depuis mes débuts en écriture intime "publique". Bien peu avide de signes superficiels de convivialité j'ai, au contraire, aimé rencontrer l'altérité des ressentis et perceptions. En profondeur, partager, échanger, effleurer l'intimité de l'autre dans le contexte feutré d'une extimité respectueuse, à l'abri des regards trop nombreux. La dimension un peu désuète des blogs, très rapidement et largement supplantés par les voraces et expansifs "réseaux sociaux", a sans doute convenu à l'atmosphère plus confidentielle dont j'avais besoin.

 

C'est la trace de cela que j'ai envie de conserver. Parce que c'était bon.

 

Et parce que j'ai le pressentiment que c'est le reflet d'une époque heureuse qui pourrait ne pas durer.

 

* * *

 

En rédigeant ce texte, j'ai constamment gardé à l'esprit ceux qui, pour diverses raisons tragiques, perdent toute trace matérielle de leur passé.

 

24 janvier 2024

Racines sensibles

Alors que j'ai entamé l'amorce d'une réflexion sur l'éventuel recueil de mes réflexions personnelles en vue d'une hypothétique diffusion ouverte vers une altérité encore imprécise, une notable coïncidence m'a conduit à revenir vers d'autres archives : celles de la correspondance de mes parents.

En effet, quatre jours à peine après avoir mis en ligne mon précédent texte sur l'idée de garder trace, et sans aucun lien direct avec celui-ci, ma soeur m'a écrit une longue lettre au sujet des échanges épistolaires parentaux. J'en suis le gardien depuis deux ans, ayant décidé de les mettre de côté pour éviter de les voir disparaître sous une impulsion destructrice. Je redoutais que mon père n'estime ce passé dépassé, ne méritant pas d'être conservé.

Dès que j'eus rapatrié ce trésor chez moi, en août 2021, je commençai à explorer le corpus familial. Je ne lus que quelques passages afin d'estimer la valeur d'ensemble, davantage émotionelle et sensible que patrimoniale, et fus enchanté de découvrir que les correspondants avaient été divers, tout comme les registres d'échange. Je pressentis qu'il y aurait matière à mieux connaitre le type de relation qu'avaient eu entre eux des gens que j'ai connu plus tard... et désormais presque tous morts.

Accaparé par d'autres préoccupations, plus actuelles à l'époque, j'ai rapidement délaissé ce travail de recension et fini par oublier l'avoir entrepris. À tel point qu'à la lecture du courrier de ma soeur s'interrogeant sur l'opportunité de communiquer à mon père cette correspondance, j'ai entrepris de parcourir de nouveau les centaines de lettres... et d'en établir (de nouveau, donc) la recension ! Oublier un travail de mémoire ? Voilà peut-être un signe précurseur (ce n'est pas le premier) d'un effacement à ne pas négliger...

Ma soeur, qui n'a pas lu la correspondance et n'en connaît donc pas la teneur, se demandait si la lecture pouvait être plutôt bénéfique ("Se souvenir des belles choses") ou déprimante (tous ces gens sont morts, ce passé n'existe plus). Elle s'est adressée à moi pour s'enquérir de mon avis, comptant sur mes talents de « fin psychologue » pour « analyser cette décision ». Elle met ceci en évidence, avec justesse : « a-t-on le droit de confisquer ces courriers ? de censurer l'accès à des lettres qui leur appartiennent plus qu'à nous ? ». Évidemment pas ! J'ai bien conscience qu'en voulant préserver ces précieux documents [à mes yeux] je m'aventure vers les limites du droit à l'intimité de la correspondance. Si mon père cherchait à récurérer ces courriers pour les détruire... je ne pourrai pas lui refuser. D'un autre côté, si cette correspondance a été soigneusement triée, conservée depuis plus de cinquante ans sur une étagère accessible à tous les regards, je pense que ce n'était pas avec l'idée de la détruire un jour. Mon choix a été de protéger ce qui avait implicitement vocation à être conservé. Et transmis.

Ma préoccupation n'est pas sans origine : je garde en mémoire la destruction par le feu de tous les écrits personnels d'une femme, ancienne institutrice de village, dont deux des fils ont estimé, après son décès, que cela ne les regardait pas. Disons plutôt qu'ils ne voulaient pas risquer d'en savoir davantage que l'image avec laquelle ils s'étaient construits. Et tant pis pour ceux de la génération suivante, qui auraient bien aimé mieux connaître leur grand-mère...

À la question de ma soeur j'ai répondu que chacun entretenait avec le passé un rapport singulier. Certains préfèrent ne pas y revenir, tandis que d'autres affectionnent ce qu'ils considèrent comme des racines dans lesquelles (re)trouver de quoi nourir l'être-passé-présent. J'ignore ce qu'il en est avec mon père mais, depuis le décès de son épouse, il semble s'ouvrir à ce qu'elle livrait de ses émotions et de sa sensibilité. Ma soeur m'a parlé d'une curiosité, et même d'une appétence de mon père à cet égard. Après qu'elle lui ait lu des carnets dans laquelle ma mère notait les menus faits de son quotidien dégradé par la maladie, elle me décrit : « Aujourd'hui, voyant comme il m'a dit au sujets de petits carnets anecdotiques "ces carnets sont à garder précieusement, range les bien", je suis convaincue qu'il ne les détruirait pas. »

Je partage l'avis de ma soeur. Néanmoins je lui ai répondu qu'il serait certainement préférable de ne communiquer d'abord que les "meilleurs souvenirs", en évitant certaines lettres dans lesquelles des récriminations fort anciennes de son épouse n'apporteraient probablement rien de bon.

Mais qui suis-je pour décider de ce qui serait bon ou pas pour mon père ?

 

Et que sais-je de ce qui, dans mes écrits, pourrait intéresser mes enfants plus tard ?

 

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Extrait d'une lettre de ma mère à mon père... où il est question de moi (à cinq ans)
« Sa jeunesse l'empêch[e] de comprendre le mécanisme des lettres et des mots ».

 

16 janvier 2024

Garder trace

« En ce début d'année, je me suis attaquée à une véritable falaise : éditer en format livre papier l'ensemble de ce blog, qui fêtera ses quinze ans dans quelques semaines ».

Mon amie Célestine, grande écrivante et ciseleuse de mots, a décidé de garder une trace imprimée des textes de son blog. Elle a tout à fait raison, ses écrits aux accents poétiques se prètent bien au partage et à la relecture. Elle a d'ailleurs déjà publié un recueil de ses textes, issus d'un autre blog, ainsi qu'un roman.

De mon côté j'ai souvent pensé à l'éventualité de matérialiser sous forme papier les réflexions, cogitations et autres impressions déposées ici ou là. L'envie est discrète mais persistante, déjà ancienne, sans que je ne passe à l'action. C'est que, fidèle à mon besoin de sens autant qu'à ma nature exigeante, j'entrevois déjà les tergiversations qui vont m'animer : qu'est-ce que je garde, qu'est-ce que j'exclus ? Conservation chronologique ou par thème ? À destination du cercle familial ou plus ouvert ? Avec ou sans photos ? 

Je pressens qu'on ne lit pas un ouvrage papier de la même façon qu'un blog. On ne lit pas non plus de la même façon une suite de textes et ces mêmes textes s'ils sont accompagnés de photos. On ne lit pas un récit chronologique de la même façon qu'un assemblage thématique.

Qu'ai-je envie de donner à lire ?

Mais... s'agit-il de "donner à lire" (viser l'intérêt du lecteur) ou de "garder trace" (témoigner) ? Dans le premier cas cela tiendrait du "servez-vous", dans le second cela s'assimile à un "moi je" dont l'ambition est questionnable. Les deux options portent bien l'idée de partage, mais pas du même trésor. Suis-je immodeste si je pense que le "trésor" est cette pensée hésitante, sinueuse, incertaine qui émane de moi, ou bien suis-je prétentieux d'imaginer que mes écrits puissent avoir quelque importance au delà du strict cadre familial ?

La question se pose trivialement dès le départ : est-ce que je vise une édition très limitée (mes enfants, voire ma fratrie) ou potentiellement plus large (sans savoir qui pourrait être intéressé). Le choix des destinataires pourrait largement influer sur celui des textes retenus.

J'ai l'impression assez nette qu'il me revient de décider quel objectif de diffusion je vise avant d'entreprendre quoi que ce soit.

 

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Photo du net

4 novembre 2023

Connivence

Il y a quelques jours B.M., ancien compagnon d'écriture dans la sphère des blogs d'extimité partagée, m'a signalé un texte qu'il venait de déposer sur un espace adéquat de l'univers virtuel. Il me disait, sans détailler, y raconter sa récente et tout à fait fortuite rencontre avec une personne découverte à cette époque lointaine et que nous avions eu la chance de cotoyer tous les deux. J'ignorais qui était cette personne que B. avait rencontrée - il ne me le disait pas - mais instantanément une identité m'est venue à l'esprit, avec la quasi-certitude que c'est d'elle dont il s'agissait. À la lecture du texte de B. j'en ai eu l'immédiate confirmation.

La rencontre a tenu de l'extraordinaire puisque résultant d'une très improbable synchronicité : à quelques secondes près la proximité géographique et temporelle d'un croisement de trajectoire aurait été manquée. Quelle est la probabilité de rencontrer par hasard une personne que l'on connaît dans une ville où ni l'un ni l'autre ne réside ?

Cette résurgence m'a mis en joie. Non pour la synchronicité, toute étonnante qu'elle soit, mais parce qu'elle ravivait les souvenirs d'une période riche de rencontres. Et en particulier d'une journée commune, de chair et de sens, durant laquelle une dizaine de personnes avaient choisi de faire coïncider identités d'écriture et personnes réelles. Nous nous étions retrouvé·es conformes à ce que nous écrivions de nous et en avions ressenti un vif et rassérénant plaisir. Comme si la justesse et la fidélité à soi nous rassuraient sur nos perceptions réciproques. Alors qu'il est si facile de tricher dans le monde virtuel, nous avions pu constater qu'il n'en avait rien été entre nous.

Je n'idéalise pas : je sais que l'on peut fausser une perception sans l'avoir voulu. Par méconnaissance on peut se tromper sur soi et, par conséquent, tromper autrui. Lorsque ce n'est pas volontaire, sans intention manipulatoire, alors ce n'est pas destructif de confiance. Ni en l'autre, ni en soi. Quelque chose peut en être affecté, et même profondément, mais pas le plus fondamental : la confiance en la sincérité.

J'ai fait part de mes impressions heureuses à B. Prévenue elle aussi de la publication du texte, l'amie commune a fait de même. Ainsi, près de quinze ans plus tard nous nous sommes "retrouvés", le temps de confirmer par quelques mots échangés l'importance réciproque des alliances affinitaires d'autrefois.

 

Capture d’écran 2023-11-04 à 16Par hasard, j'ai redécouvert il y a quelques semaines cette photo oubliée. J'ignorais alors que cela préfigurait une prochaine et inattendue actualisation du passé.

Cette image de S. et moi me touche par la tendre et joyeuse proximité qu'elle montre. Ma main est sur son épaule droite et sa main sur la mienne. Hors du cadrage que j'ai délimité ici, son front est dans mon cou et nos sourires de connivence irradient. Avec cette photo, prise en présence du groupe, je ressens la marque d'une bienfaisante confiance réciproque. Cette image m'est d'autant plus précieuse que rares sont les moment durant lesquels j'ai osé montrer publiquement ma connivence avec une femme...

 

4 août 2023

Ce qui fait sens

Il y a donc cet espace d'expression, que je n'occupe pas. Que je ne sais plus comment occuper. Parce qu'il est "ouvert" et, implicitement, appel à la rencontre. Rencontre d'autres sensibilités, d'autres perceptions, compatibles avec mes aspirations. Je reste un assoiffé de dialogue porteur de sens, enrichissant, fécondant. J'aime beaucoup lorsque les mots et les idées se répondent, s'engrènent, pour le plaisir et la satisfaction des contributeurs.

Ce n'est même pas que j'aime : c'est un besoin. Un besoin de rencontre de l'altérité compatible.

Mon écriture en partage est née de ce besoin. Elle s'est cherché un chemin, au gré des sensations, des émotions, des découvertes. Je me suis laissé guider par le plaisir. J'ai trouvé de quoi me sustenter dans les échanges d'idées, d'impressions, d'opinions, de visions, d'imaginations. Ma récompense était la satisfaction de ressentir un enrichissement réciproque.

Autrement dit, ce n'est pas tant d'écrire qui m'est important que de participer à un enrichissement réciproque. C'est se nourrir mutuellement en partageant ce qui fait sens pour chacun.

Or « ce qui fait sens » n'est pas immuable. S'il y a "sens" c'est qu'il y a trajectoire. Ce qui a fait sens à un moment donné de l'existence peut devenir suranné, dépassé, anachronique. Les quêtes de sens sont évolutives. Si je commençais aujourd'hui à écrire en partage, ce ne serait pas sur un blog. Ce ne serait pas sur les mêmes thématiques que lorsque j'ai entamé celui-ci, il y a dix-huit ans. Et d'ailleurs, aurais-je seulement envie d'exposer publiquement mes réflexions ?

D'une certaine façon, continuer à écrire ici est donc anachronique. Ce qui reste contemporain est l'idée de continuité et, peut-être, d'une forme de loyauté [terme ô combien désuet...]. Loyauté envers celui que j'ai été et suis devenu grâce à ce qui s'est échangé ici. Loyauté envers ces quelques personnes qui m'honorent encore de leur fidélité attentive et laissent quelques précieuses traces de leur passage. Sans ces signatures que je reconnais je perdrais toute motivation à poursuivre.

Si quelque chose a encore du sens, ici, c'est de continuer à partager les liens qui se sont constitués ici-même. Liens singuliers qui, pour la plupart, n'existent qu'ici et ne se manifestent que si j'écris.

C'est donc la question du lien qui m'interpelle lorsque je tergiverse autour de la continuation...

C'est une question centrale dans mon parcours, qui irrigue puissamment mon écriture. Avant même ce blog, qui n'est qu'une émanation d'un questionnement inabouti autour du lien et de sa pérennité. Ce blog résulte de la tentative de contournement d'une rupture.

Des liens j'en ai évidemment ailleurs, quoiqu'ils sont en nombre relativement restreint. Dans la "vraie vie" il y en a peu, mais ils sont d'une solidité propre à garantir mon équilibre : familiaux. Il en existe d'autres, beaucoup plus volatils car conjoncturels, sans avenir au delà de leur fonctionnalité du présent : ceux du milieu professionnel. Ils constituent néanmoins une large part des échanges qui me nourrissent [plus ou moins...] actuellement et pèsent dans mon choix de travailler encore.

Il existe aussi des liens affinitaires assez fondamentaux, quoique largement distants : toute une sphère de réflexion, d'information et d'expression autour de questions existentielles, voire vitales [au sens littéral]. Ces liens opèrent ponctuellement au sein de différents milieux engagés, associatifs, citoyens ou politiques, mais surtout quotidiennement via quelques réseaux sociaux. Je passe un temps considérable à lire les contributions de personnes que parfois je "connais" dans la vraie vie mais que, le plus souvent, je n'ai jamais rencontrées en chair et en os. Par contre je ne m'y exprime pratiquement pas, faute de compétence sur des sujets pointus.

Ce temps que je consacre à m'informer, je n'en dispose plus pour écrire. Je privilégie, là encore, ce qui me nourrit. Ce qui répond à mon besoin. Or mon besoin, depuis quelques années, c'est de tenter de comprendre ce qu'il est en train de se produire à l'échelle globale. Tenter de comprendre ce qui est en jeu, de comprendre pourquoi ni moi ni mes contemporains avertis ne parvenons à abandonner une logique mortifère. J'ai besoin de constater, au jour le jour, à quel point "nous" sommes inconséquents, tandis que la plupart semblent inconscients du péril.

Pourquoi ne croyons-nous pas ce que nous savons ?

La question me fascine. Et c'est actuellement, pour moi, ce qui fait sens.

 

 

Capture d’écran 2023-08-04 à 10

Illustration : température moyenne mondiale actuelle, très largement au dessus des moyennes relevées depuis 1979
et au dessus des records absolus (14/08/2016 et 24/07/2022) depuis plus de trente jours !

J'ai choisi cette illustration pour son côté statistique absolument sidérant, mais j'aurais pu mettre mille autres
illustrations potentiellement alarmantes... toutes aussi inopérantes les unes que les autres : nous n'y croyons pas !

Source : climate reanalyser

15 juillet 2023

Écrire encore ?

Voilà une semaine que j'ai posé ici, sans les publier, les quelques photos qui suivent. Elles dataient déjà de deux semaines et, de ce fait, le temps écoulé ne démontrait pas que l'envie d'un partage immédiat me submergeait...

Ces photos étaient censées m'inspirer. Bof...
Seuls
quelques bouts de phrases me sont venus, sans me convaindre
 de leur pertinence.

Pourquoi ces mots ? Quelle intention laissaient-il percevoir ? À qui étaient-ils adressés ? Qu'est-ce que je cherchais à exprimer ? Avais-je seulement quelque chose à dire ?

Probablement.

Aujourd'hui je publie le tout, en me disant que peut-être cela déclenchera quelque chose.

Ou pas.

 


 

9 juillet 2023

 

S'effacer. 

Laisser le silence s'installer.
Constater qu'aucun manque n'en découle.

 

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Prendre la mesure de ce silence, du temps libèré qu'il offre.

 

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Songer aux liens instaurés, à ce qu'ils sont devenus avec les ans. Les décennies.
Distanciation, effacement, dévitalisation.
Déliaison.

 

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Ne pas faire durer ce qui n'a plus raison d'être.
Accepter d'avoir évolué, d'avoir changé de centres d'intérêt.
Parce que tout change. Tout est impermanence.

 

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J'écrivais. Je ne le fais plus.
Je partageais mes états d'âme, mes questionnements existentiels.
Ce ne sont plus les mêmes.



IMGP6661

 Haute Maurienne, 24 juin 2023

 

 

* * *

 

Qu'il m'est difficile d'extirper des mots qui ne viennent plus tout seuls. Le chemin, devenu étroit sentier, semble s'être refermé. Je ne sais plus quoi écrire. Ne sais plus comment. La source semble tarie.

Écrire ici a t-il encore un sens ? Cet espace a t-il encore des raisons légitimes d'exister ? Me correspond-il encore ? Que représente t-il pour moi ? Pour d'autres ?

Ai-je encore quelque chose à exprimer ?

M'acharner, n'est-ce pas une façon de maintenir ce qui n'est plus ? Et vouloir maintenir l'existant, n'est-ce pas régresser ?

 

8 mars 2023

Travailler encore !

La réforme des retraites est au coeur de l'actualité. L'allongement de la durée de cotisation soulève la contestation d'une partie de la population. En particulier les personnes pour qui travailler est une contrainte pénible, dénuée d'autre sens que "gagner sa vie", par obligation. Il me semble que le problème est d'abord là : ne pas avoir de plaisir à exercer une activité professionnelle.

Il y a quatre mois je me questionnais sur mes envies contradictoires en matière de retraite. J'ai la chance [le privilège ?] d'aimer mon travail et le milieu professionnel au sein duquel je l'exerce. Dès lors arrêter mon activité se présente sous un autre angle. Cela m'oblige à renoncer à une satisfaction pour en obtenir une autre : être libéré d'un certain nombre d'obligations. Renoncer à un milieu stimulant pour disposer de davantage de liberté. Les deux pèsent dans la balance de la décision, sachant qu'une des options est définitive.

Le temps écoulé depuis novembre m'a permis de bien soupeser l'alternative... et j'ai opté pour une réduction de mon temps de travail. Une mise en retraite progressive, donc, à partir de cet été. Ou de l'automne, rien ne presse. Je me suis seulement engagé pour au moins un an avec mon employeur. Durée susceptible d'être prolongée selon mon désir. Ainsi je me donne la possibilité de tester les effets d'un rythme ralenti et voir comment je m'en accomode.

Certes, en faisant ce choix je reporte à plus tard la sensation de grande liberté qu'ouvre la perspective de pouvoir me lever le matin sans obligations. D'un autre côté je n'ai pas l'impression que les jeunes retraité·es que je côtoie soient nécessairement plus heureux qu'au temps où iels étaient actifs. Bien sûr iels semblent apprécier leur liberté, occupée par diverses activités. Mais sont-ils plus heureux que du temps où ils travaillaient ? Cela ne me semble pas flagrant.

Quoi qu'il en soit j'ai fait mon choix et je le réinterrogerai d'ici un an.

Et finalement ce n'est pas parce que j'ai d'ores et déjà, et depuis fort longtemps, « envie de faire plein de choses » qu'il y aurait la moindre urgence à me couper d'autres satisfactions actuelles. Je m'accorde le temps d'une mutation lente, finalement assez conforme à mon caractère : donner le temps au temps. Laisser mûrir, comme un bon vin. Laisser grandir, comme un arbre en majesté. Laisser évoluer, au plus près des perceptions du moment.

Adepte de la souplesse, je crois qu'il me sera toujours difficile de prendre des décisions tranchées. Surtout si elles sont irréversibles.

 

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Comme un arbre en majesté

 

22 janvier 2023

De la finitude existentielle

En sortant du travail, il y a quelques jours, m'est revenue à l'esprit une proposition de méditation en petit groupe qui m'a été faite récemment. Je pensais ne pas donner suite, peu tenté par cette discipline que je n'ai jamais pratiquée. Encore moins si c'est à plusieurs. Je n'en ressens pas le besoin, peut-etre à tort. Ou peut-être parce que les moments que je passe "avec moi-même" me suffisent pour rester l'esprit suffisamment libre ? Et puis méditer... sur quoi ? Faire le vide et me centrer sur l'instant présent ? Instantanément mon esprit m'a porté vers la représentation de la fugacité de nos existences dans l'éternité temporelle. Puis celle de l'infinitésimale part que cette trajectoire personnelle représente dans l'espace terrestre, lui-même infime part de l'univers visible et invisible. Je me sais n'être qu'une poussière d'étoile dont l'éclat sera sera comparable à celui d'une étincelle de silex : d'une insignifiante brièveté. Si mon existence n'est pas "rien", alors elle est bien peu de choses [♪ et mon amie la rose me l'a dit ce matin ♫].

Ce soir là, dans la bulle protectrice de ma voiture, j'ai eu l'intuition que si la perspective de ma mort ne m'effraie pas c'est peut-être parce que je me sens faire partie d'un tout bien plus grand que ce que j'en perçois. Ainsi en va t-il de mon existence qui, tout entière,  tient dans une étincelle. Une seule parmi l'infinité de vies qui apparaissent et s'éteignent constamment. Ce "presque rien" qui est pourtant le "tout" de chacun, pour ne pas être vertigineusement absurde, m'a conduit à embrasser "plus grand que moi". Dans le temps, en m'ancrant dans les vies qui m'ont précédé et en imaginant qu'un futur me survivra ; dans l'espace en parcourant ce qui, du monde, est perceptible par mes sens ; dans le différent de moi en constatant l'altérité de la perception d'un même monde.

Je suppose que c'est un invariant humain.

En élargissant ma propre perception au delà de ce qui m'est proche je me suis ouvert au reste du vivant, humain ou pas. Et cela a donné un sens à mon existence, l'a rendue précieuse à explorer et à vivre.

Dans l'immensité des espaces de "nature" j'éprouve la sensation d'appartenance à un milieu dans lequel je me sais vulnérable. Fuyant les concentrations humaines, la solitude me permet de retrouver la conscience de la toute petite place qui m'est temporairement accordée sur une planète perdue dans l'immensité sidérale.

 

James Webb

Les « Piliers de la création », situés à 6 500 années-lumière de la Terre, dans notre galaxie. © Crédit photo : HANDOUT/AFP

 

Mais jusqu'à quand ?

Face à ma propre finitude je ne ressens pas d'angoisse. Un jour je ne serai plus, et puis c'est tout. Le monde continuera d'exister et savoir cela me suffit. Je me sais être un des multiples rameaux d'une arborescence généalogique, issu de la continuation d'autres vies nées des racines d'ascendants dont les noms et les histoires se perdent dans les ténèbres. Ma descendance, elle, me projette vers un avenir que je ne vivrai pas. Tout continuera après ma disparition.

Du moins... c'est ainsi que j'ai considéré la chose durant la plus grande partie de mon existence, anecdotiquement confrontée à d'éphémères menaces de mort imminente. Globalement, autour de moi, ni maladie, ni guerre, ni famine. Tout au plus une récente pandémie m'a t-elle placé en situation de vague inquiétude, promptement rassurée par le respect de quelques consignes sanitaires. Et même lorsque, au paroxysme d'une crise d'intenses douleurs néphrétiques, je me suis cru proche de la mort, je pensais davantage aux désagréments causés aux autres par mon impréparation qu'à mes éventuelles dernières heures à vivre.

Ma mère est décédée l'an dernier. Ce fut triste, mais pas angoissant : nous avions eu des années pour intégrer l'extinction progressive de la vie dont elle rayonnait. 

Me reviennent évidemment à l'esprit d'autres pertes, plus bouleversantes, qui furent d'abord génératrices d'angoisse de séparation. Là, la menace était réelle, concrète, opressante. Ces périodes douloureuses suscitèrent un ressenti d'anéantissement : une part de mon aspiration à la vie allait "mourir" avec la coupure relationnelle. Je crois que cela a changé mon rapport à la finitude, alors éprouvée dans tout mon être. Ce faisant, il est possible que je me sois partiellement libéré de l'angoisse latente de fin, indissociable de chaque début. L'ascétisme relationnel serait-il un antidote ? J'en doute...

Désormais, dans le confort d'une existence calme et à ma mesure, sans menaces perceptibles, je pourrais prétendre ne pas ressentir l'angoisse de finitude existentielle. Mais est-ce vraiment le cas ? Cette tranquillité ne résulte t-elle pas d'orientations prises précisément pour éviter l'angoisse ? Ne ressens-je pas, au fond de moi, la peur de perdre ce qui fait que ma vie est heureuse ? La peur de perdre le lien avec les gens que j'aime et qui m'importent ? De perdre l'insouciance si des difficultés survenaient ? 

 

Car lentement, imperceptiblement, une autre éventualité, assez perturbante (angoissante ?), a pris place dans ma pensée : et si ce que je me réjouis de connaître était voué à un anéantissement, partiel ou total ? Non pas dans l'inéluctable extinction de la vie sur terre dans quelques milliards d'années, du fait de la dilatation finale du soleil, mais dans une échelle de temps beaucoup plus représentable. De l'ordre de quelques générations humaines, voire quelques siècles...

Il m'est devenu impossible d'ignorer cette possibilité, même si, bien sûr, elle n'est pas omniprésente dans mes pensées. Je continue à vivre comme si je n'avais pas cette conscience. Je me laisse porter par la rivière, comme si la possibilité d'une chute n'existait pas. À quoi bon lutter contre le courant lorsqu'il est trop fort ? Tout au plus puis-je tenter d'influer sur les autres molécules du flot en mouvement.

Il n'empêche que cette conscience est là. Elle teinte mes pensées, mes actes, mes orientations, mes projets.

« Le réchauffement climatique nous confronte à quelque chose de trop grand pour nous. Car ce n'est pas seulement notre survie qui est en jeu; l'avenir de l'humanité et des autres espèces est également en péril, le monde commun peut disparaître et nous comprenons que notre civilisation est précaire. [...] Ainsi, l'éco-anxiété n'est pas une mode ni une sorte de spleen contemporain, mais la réponse de notre psychisme à une situation inédite ». 

Corinne Pelluchon, « L'espérance, ou la traversée de l'impossible ».

 

17 janvier 2023

Parcours de conscience

Ethnographie des mondes à venir

Je suis en train de lire "Ethnographie des mondes à venir", entretien croisé entre Alexandre Pignocchi et Philippe Descola. Il y est question du rapport qu'une partie des sociétés humaines entretien avec ce qu'elle appelle "la nature" et qu'elle a d'abord entrepris d'explorer, puis d'exploiter, asservir, dominer, et finalement piller sans vergogne depuis... des millénaires.

Nous, européens et assimilés (c'est à dire partout où, historiquement, les habitants du vieux monde se sont accaparés des espaces, se sont donnés des droits, se sont servis en soumettant les habitants d'un territoire) usons et abusons de la puissance conquise par notre système de pensée. Il existe pourtant encore des sociétés humaines qui entretiennent un autre rapport au milieu qui les accueille, qui ne s'en sentent pas propriétaires mais cohabitants, reconnaissant aux autres vivants les mêmes droits à vivre, sans prédominance de l'un sur l'autre.

Ces conceptions des rapports entre l'humain et les autres entités sont difficiles a appréhender pour nous, occidentaux, conditionnés que nous sommes depuis des générations à considérer le monde au service de l'humain, lui-même s'étant opportunément placé au sommet de la hiérarchie. La notion même de hiérarchie, légitimant " de droit" toutes les dominations et asservissements, est au cœur du système autodestructeur dont nous commençons à percevoir les limites.

« Je découvrais, éberlué,  que le concept de nature, loin de désigner une réalité objective, est une construction sociale de l'Occident moderne. La plupart des autres peuples du monde se passent de distinction entre nature et culture et organisent de façon toute différente les relations entre les humains et les autres êtres vivants. La protection de la nature ne pouvait donc pas être, comme je l'avais imaginé, le contrepoint politique radical à la dévastation du monde orchestrée par l'Occident industriel. Protection et exploitation sont les deux facettes complémentaires d'une même relation d'utilisation, d'un rapport au monde où plantes, animaux et milieux de vie se voient attribuer un statut d'objet dont les humains peuvent disposer à leur guise - fût-ce pour les protéger » - Alessandro Pignocchi

Tout cela rejoint une perception personnelle profonde, restée longtemps à l'état de germe dans ma conscience.

C'est en entrant dans l'adolescence que j'ai perçu qu'il y avait quelque chose d'injuste, inapproprié, dans ce que je constatais de la destruction de la "nature". Cependant je ne savais pas comment contrer cette inexorabilité apparente de la marche du progrès : c'était comme ça, inéluctable. Par l'éducation issue de mon milieu d'appartenance je n'étais pas doté de l'appareil critique nécessaire pour déconstruire ce que l'on m'enseignait, me transmettait. Formatage transmis par des adultes eux-mêmes formatés génération après génération. Comment s'extraire de la matrice sans être acculturé par l'unisson de quelques voix discordantes ? Où les entendre ? Et combien de temps faut-il pour que, de fragment en fragments de conscience, lien après lien, en vienne à s'assembler une conscience plus éveillée ? Combien de pièces d'un puzzle à assembler avant qu'une image significative apparaisse ? Avant que l'envie d'aller chercher d'autres pièces dissimulées ne se manifeste ?

Mon éveil a eu lieu grâce à une sensibilité à ce que j'appelais "nature" : des espaces consituée de milieux les moins anthropisés ou dans lesquels la libre évolution tend vers une "renaturation spontanée". Il y a fort longtemps que je suis un admirateur des friches et autres lieux que l'homme délaisse après les avoir colonisés. Cette reconquète perpétuelle par le sauvage, ce "réensauvagement", me fascine. J'y vois un juste retour à la liberté du vivant, émancipé de l'asservissement par l'humain.

Plus tardivement m'est venue la prise de conscience des systèmes de domination institutionnelle, sans que je fasse le lien avec celle du vivant. D'abord vers la trentaine, lorsque j'ai renoncé à ma religion d'origine parce que dans celle-ci les femmes n'avaient pas droit aux mêmes attributions que les hommes. Cet éloignement m'a finalement conduit vers l'athéisme, avec l'émancipation qu'il permet. Plus tard, vers la quarantaine, ma conscientisation du système patriarcal, c'est à dire celui de la domination masculine, a été assez rugueuse. Non que je me sente détenteur d'un statut à conserver, mais parce que je n'avais pas senti à quel point il m'était largement invisible du seul fait d'être du côté des privilégiés, et conditionné à faire perdurer cet état de fait. Quelques éclairs de lucidité ont changé mon regard et conduit a davantage d'humilité. Le mouvement féministe a trouvé toute sa légitimité à mes yeux, aussi bousculant soit-il dans ses formes les plus radicales.

En comprenant comment la domination des uns sur les autres a été érigé en système, sont tombés un a un mes aveuglements. Après un détour remettant en question la légitimité de l'exclusivité sentimentale, forme plus subtile de domination par l'appropriation, je n'ai pas vu d'autre chemin d'émancipation que le célibat volontaire.

Vers le milieu de la cinquantaine une conscience écologique plus affirmée ma poussé à découvrir de plus près le système d'exploitation animale. Autrement dit, "l'élevage" (alors qu'il est factuellement un "rabaissage"). Plus récemment j'ai découvert l'écoféminisme, comprenant finalement que tout était lié  : déconsidérer l'altérité pour la dominer, l'exploiter, l'asservir.

Aujourd'hui, avec davantage de recul, je vois avec consternation combien les bénéficiaires de privilèges, quels qu'ils soient, savent se réfugier dans le déni de réalité pour que rien ne change. Tout ce qui pourrait faire vaciller de confortables avantages actuels est rejeté comme s'il s'agissait de positionnements extrêmistes inacceptables. L'homme blanc, riche, âgé, en est la caricature en ce sens qu'il cumule les privilèges. Il n'est cependant pas nécessaire d'avoir cette position sommitale pour être dominant·e : on peut être à la fois dominant·e et dominée·e.

Ce qui m'inquiète c'est qu'il est plus difficile de renoncer volontairement au confort matériel que de fermer les yeux sur les dominations que l'on exerce, indirectement ou pas, pour le maintenir, voire l'accroître.

(à suivre, peut-être...)

 

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